Zannin vs Yukko

Que de rebondissements ! La physionomie unique de l’extraterrestre au teint turquin lui permettait de continuer à lutter alors même qu’il était victime d’une prise de soumission particulièrement compromettante. Entre la ténacité inouïe dont faisait preuve son adversaire et son propre manque d’expérience en matière de combat au sol, certes relatif mais bien réel, la garçonne s’était imaginée perdre le contrôle de plus d’une manière. Une éventualité qui, par-delà ses ramifications potentiellement désastreuses pour le futur de son parcours dans ce tournoi, l’enchantait pourtant d’une certaine façon. Car si la victoire faisait naturellement l’objet de sa convoitise, pousser sa maîtrise de cet aspect souvent négligé des arts martiaux jusqu’à son paroxysme et en découvrir les limites grâce aux parades ingénieuses du Héra avait tout autant - sinon plus - d’intérêt aux yeux de la jeune femme. Zannin lui offrait une expérience sans pareille, et elle ne comptait pas en perdre une miette ! Elle se doutait en outre que la leçon que lui prodiguait présentement le géant n’avait pas encore touché à sa fin, et que la poignée de secondes qui la séparait de la complétion de son étranglement risquait d’être turbulente. Elle serait folle de sous-estimer l’imprévisibilité de son rival, un moteur de chaos qu’elle savait dangereux en toutes circonstances.

Et pourtant, cette fois-ci semblait être la bonne. Le dernier ajustement de Yukko paraissait avoir rendu sa prise largement imperméable à l’agitation de l’ancien corsaire, et l’intensité de son aura la préservait de sa toile ô si pernicieuse. La fillette ressentait l’excitation presque palpable et grandissante qui animait la lutte paradoxalement faiblissante de son adversaire, dont le manque croissant d’oxygène finissait par impacter les efforts. L’emprise de la super guerrière se faisait davantage absolue à chaque instant qui passait, si bien qu’il devenait difficile, même pour elle, d’imaginer le mercenaire capable d’échapper au sort auquel elle le destinait. Pourtant, aussi tentant que cela puisse paraître compte tenu de la situation, la jouvencelle ne devait en aucun cas se résoudre à crier victoire. Même piégé de la sorte, tant qu’il n’était pas littéralement tombé dans les pommes, Zannin demeurait une menace. Après tout, son art hétérodoxe lui permettait de répliquer depuis n’importe quelle position, et ce au mépris de la vigilance que lui accordait sa rivale. Vigilance dont il était content de se jouer encore et toujours, qu’importe la situation.

Ainsi donc, et alors que son sort paraissait scellé une bonne fois pour toutes, le Héra dépassa les espérances de la gamine en achevant un nouveau tour de force ! Loin de l’effroyable subtilité qui eût caractérisé ses précédents stratagèmes, ce fut ici par l’expression d’une sauvagerie dépassant l’entendement que Zannin parvint à prendre la fillette de court, poussant un beuglement qui la fit vibrer jusqu’aux os ! Un frisson traversa Yukko de part en part, laissée pantoise par cette démonstration de barbarie aussi soudaine que brutale tandis que la face de son adversaire se contorsionnait afin de communiquer la rage primaire qui envahissait son esprit dérangé. Et le temps que la pucelle revienne à elle-même, il était hélas déjà trop tard ! Ce seul instant d’inattention fut tout ce dont le géant avait besoin pour contrecarrer la prise de sa geôlière en exploitant une faille dans la manœuvre improvisée de cette dernière ! Yukko avait fait l’erreur de ne pas immobiliser les jambes du Héra, qu’elle savait pourtant capable du même genre de singeries que ses bras, une omission née de sa hâte et qui reflétait par-dessus tout sa connaissance limitée des arts de la lutte au sol.

Pire, la folie furieuse qui s’était emparé du pirate intergalactique paraissait l’avoir doté d’une force démultipliée, une puissance renouvelée grâce à laquelle il parvint à envoyer valser sa concurrente pourtant solidement accrochée à son cou ! À l’issue de son bref et involontaire envol, Yukko percuta tête la première le damier de l’aire de combat, l’explosion du mortier duquel étouffant le hoquet de douleur de la martialiste. Son minois juvénile, rompu par les échardes comme par la morsure qu’elle avait précédemment essuyé, se noyait dans une giboulée de liquide plasmatique. Et ça, c’était avant que Zannin ne vienne en rajouter, le titan enfonçant sa botte au beau milieu du triste tableau qu’était devenu le visage de la super guerrière, laissée vulnérable par sa conscience vacillante. Ce nouveau choc, comme un aller simple vers un monde de souffrances qu’elle ne pensait pas revisiter de sitôt, avait pour seul mérite de la maintenir éveillée. Son décollage se poursuivit sur une bonne dizaine de mètres avant qu’un effort - visiblement maladroit - de sa part ne vienne y mettre fin de façon disgracieuse, laissant sa défroque débouler contre le sol.

Forçant sur ses bras tremblotants, la lutteuse entamait un redressement distinctement brimbalant. Un toussotement douloureux désengorgeait son goulot, parant le plancher d’une foultitude de tâches écarlates malplaisantes. Son attention, naturellement, fut retenue par la silhouette grandissante qu’elle décelait par-delà le rideau carmin qui teintait sa vision. Elle y découvrait le véritable visage de Zannin, non pas le combattant perfide qu’il prétendait être avec ses mille et un tours de passe-passe, mais très exactement ce que son physique hypertrophié avait toujours suggéré : une brute épaisse à la soif de violence insatiable, un fou à lier pour qui la sanité n’était guère plus qu’un obstacle à surmonter. Il allait sans dire que la vue de cette bête féroce n’inspirait rien de bon à Yukko, et quoi de plus normal ; la seule figure de l’ancien corsaire, déformée par la sauvagerie de son nouvel état, suffirait à horrifier le plus brave des baroudeurs. Dopée à l’adrénaline par cette vision des enfers, la jeunotte puisa la force de hausser sa garde in-extremis, ses avant-bras préservant ainsi sa face d’une énième tentative d’agression au prix d’une douleur à peine plus supportable. La brutalité de cet impact comme de ceux à venir n’était point seulement mère d’un atroce calvaire mais aussi - et surtout - révélatrice du sinistre dessein du mastodonte, d’une ambition que la violence inouïe de ses précédents stratagèmes avait déjà évoqué : au diable le tournoi, Zannin comptait satisfaire ses pulsions délétères coûte que coûte, quitte à faire passer sa rivale du jour de vie à trépas.

Ce n’était plus pour avoir la chance de brandir le plus prestigieux des trophées, ni pour rassasier sa soif de savoir martial, que Yukko continuait de résister. Non, elle luttait désormais pour sa survie…

…ce qui rendait son attitude d’autant plus surprenante ! Puisqu’alors qu’elle échappait de justesse aux ravages d’une nouvelle bastonnade grâce au sacrifice de ses membres antérieurs, la nappe hémoglobineuse qui recouvrait son faciès se scindât pour brièvement révéler le fin rictus qui s’y était dessiné. Un sourire discret en totale contradiction avec la précarité de sa situation alors que le danger que représentait le Héra paraissait atteindre son paroxysme. La raison de cet éclat de volupté était pourtant évidente, car si la sauvagerie qui animait présentement son adversaire était indéniablement intimidante, le brio avec lequel Zannin avait jusqu’ici livré bataille, et que la guerrière dorée avait appris à craindre à ses dépens, n’était lui plus qu’un mauvais souvenir ! En s’abandonnant à ses instincts primaires au profit du décuplement de sa puissance brute, le mercenaire s’était ironiquement séparé de son plus précieux atout vis-à-vis de la jouvencelle, à savoir son arsenal époustouflant ! Loin des pièges retors dont il avait jusqu’alors abusé, le géant vert se démanchait ici avec toute la distinction d’un poivrot dans une bagarre de bar et, ce faisant, s’aventurait malencontreusement dans le domaine d’expertise de sa rivale : le combat rapproché.

* …J’aime mieux ça… *

S’amusait intérieurement la fillette. Cela dit, encore fallait-il qu’elle puisse tirer parti de l’erreur de son adversaire et, compte tenu de son état diminué, ce n’était pas donné. La force écrasante de l’extraterrestre rendait chacun de ses coups potentiellement meurtrier, et la maigre garde que Yukko était parvenue à hisser faisait comparativement pâle figure. Pourtant, en dépit de sa vigueur visiblement fuyante, la défense de la gamine ne faiblissait aucunement ! Au contraire, ses parades jusque-là rudimentaires laissaient peu à peu place à un jeu d’esquive autrement plus habile, un exploit rendu possible par la croissance tant subtile qu’irrémédiable de son niveau d’énergie. Non contente de simplement s’habituer au rythme des assauts brouillons de son adversaire, un effort qui à lui seul ne pourrait suffire à la maintenir en lice, la martialiste œuvrait silencieusement à l’invocation d’une technique dont elle demeurait l’unique maîtresse. L’intensité pâlissante de son aura, laquelle cédait de plus en plus d’espace aux flammes déchaînées de son antagoniste, était l’acte de cet effort singulier. La jeune femme congrégeait l’ensemble de son Ki en son sein, domptant le brasier vermeil du Super Saiyan à l’intérieur de sa propre enveloppe corporelle afin de mieux le canaliser, ceci dans le but d’évoluer vers ce qu’elle considérait comme étant la perfection de la métamorphose légendaire des guerriers de l’espace : le Super Saiyan no Kansei.

C’était grâce à cette forme, sa réponse à la médiocrité d’un métissage qui lui barrait l’accès aux stades supérieurs de la fameuse transformation, que la demoiselle était parvenue à faire jeu égal avec l’empereur doré ! Ultime témoignage du mérite de celle qui refusait de laisser son patrimoine génétique déficient mettre un frein à ses ambitions, cet état unique était en outre le reflet de sa philosophie intime puisqu’il s’agissait du résultat d’un effort de consolidation de la base du Super Saiyan qui faisait volontairement écho à son approche des arts martiaux. Par l’application de sa discipline certes parfois malséante mais difficilement reprochable, Yukko avait surpassé ses comparses en enfantant d’une forme qui n’avait rien à envier aux stades les plus avancés du super guerrier. Rien… ou presque. Car contrairement à la frénésie animale dans laquelle Zannin trouvait sa force, le Super Saiyan no Kansei exigeait de Yukko une concentration sans faille, ce qui en rendait l’emploi délicat en situation de combat réel. L’enveloppe encore immature de la lutteuse n’était pas prévue pour contenir un tel torrent de Ki et pouvait aisément rompre si l’attention venait à lui manquer. Voilà pourquoi il était si réjouissant que le titan de jade se soit jeté corps-et-âme dans cette mêlée à bout-portant : profitant de la plénitude de cette danse guerrière endiablée, ce terrain de jeu ô si dangereux qu’elle œuvrait à faire sien, Yukko pouvait se focaliser pleinement sur le maintien de sa métamorphose et laisser l’éducation martiale de son corps défaire tant bien que mal l’agression désordonnée de son opposant.

Douée de ce nouvel état, la tête blonde parvenait à supporter la tempête qui s’abattait sur elle. Eurent les gestes de Zannin été davantage précis, elle n’aurait sûrement pas eu autant de chance ! Même en l’état, si elle échappait adroitement, sinon de peu, au déluge de torgnoles de son adversaire, sa vigueur largement entamée par le reste du combat l’empêchait de performer à son meilleur niveau et l’obligeait à rester sur la défensive. L’assaut imprudent du Héra le laissait certes vulnérable aux contre-attaques, mais Yukko ne pouvait prendre aucun risque. Qu’elle soit encore capable d’un tel tour de force à ce stade de l’affrontement relevait pratiquement du miracle, autant dire que la moindre erreur lui serait fatale ! Elle devait guetter le bon moment pour déclencher une riposte décisive.

Zieutant ainsi le moment opportun, l’adolescente s’élança lorsqu’enfin celui-ci vint à se présenter ! D’un pas soudain, elle jaillit en direction de son concurrent, comblant l’espace déjà infime qui les séparait pour entrer littéralement au contact ! S’insérant dans le creux d’une bastonnade dont la course n’était point terminée, Yukko saisit le bras colossal de son rival tout en prenant soin de ne pas gêner sa folle mais vaine ruée. À l’aide d’un déhanchement incontinent, la fillette emmancha une giration fulgurante qui profitait de l’énergie cinétique engendrée par l’assaut de Zannin pour décupler la force centrifuge née de sa propre manœuvre. Jouissant ainsi de ce dynamisme mécanique, la garçonne invita le pirate dans une circonvolution aérienne turbulente, entraînant le concerné par-dessus son épaule pour le laisser pulvériser le dallage à l’issue de ce geste martial aussi académique qu’efficace ! Secoué par un tel choc, le cerveau du péon lambda serait nécessairement mis hors de commission… mais Zannin n’était point ce genre d’individu ! Tomber dans l’exagération n’était pas une faute lorsqu’il s’agissait de traiter avec un type aussi coriace. Aussi, à peine eût le Héra achevé son atterrissage forcé qu’une patate de forain déjà le menaçait ! Amorçant une nouvelle rotation de son buste, Yukko envoya son poing perforer le visage du géant. Mais ce n’était pas tout ! Puisqu’une fois le coup porté, les doigts de la jeunette se délièrent de manière à révéler le rayonnement azuréen de l’énergie vitale qu’ils cachaient jusqu’alors. Dans le creux de sa main resplendissait la chaleur du Chō Kamehameha qu’elle avait la ferme intention de tirer à bout-portant.

Pressé par les circonstances, cet amoncellement de Ki n’était guère plus intense qu’un Kamehameha ordinaire. Hélas, c’était le mieux que la martialiste puisse faire et elle priait pour que ce soit suffisant. La sphère d’énergie frétilla quelques instants avant de donner naissance à une explosion de toute beauté qui engloba les deux protagonistes dans sa déflagration céruléenne ! Propulsée en arrière par le souffle de son tir, Yukko échappa de force au nuage de fumée qui recouvrait désormais la majorité de l’aire de combat, son bras visiblement calciné laissé nu par la manche d’un t-shirt à peine plus chanceux. Stoppant tant bien que mal sa course accidentelle, la gamine tituba à plus d’une reprise avant de regagner une pose de combat ostensiblement vétuste et qui relevait purement du paraître. Malheureusement, cet effort de présentation était peu convaincant, trahi par une symphonie de halètements maladifs. Complètement vidée par sa manœuvre et étourdie par la quantité faiblissante d’hémoglobine qui ne s’était encore évadé de son minois contus, la métisse était manifestement incapable de poursuivre l’affrontement. Mais qu’en était-il de son adversaire ? Elle fixait le nuage de poussière avec attention dans l’espoir d’y déceler la défroque inanimée de ce dernier. Car dans le cas contraire, il n’aurait plus qu’à tendre la main - tant figurativement que littéralement - pour saisir la victoire.

Qu’en sera-t-il, Zannin ?