Le Dévoreur du Mal [PV]

Le carrée alimentaire est tout simplement parfait, car il possède tout ce que la nature a à offrir. Des légumes qui se sont gorgés des bienfaits de la terre, des fruits débordant de vitamines solaires, divers herbes aromatiques évoquant la pureté de l’air, ainsi que des morceaux de premier choix de viandes animales qui symbolisent la force vitale. En plus de ces mets exquis s’ajoutent quelques friandises, des œufs, des épis de blé, des bols d’eau distillé et cetera. La pyramide de la nutrition ne saurait trouver un meilleur avatar. Ce critère qui incarne ce qui permet de vivre n’a absolument aucun défaut.
 
Mais ce sont les mots, le pire des maux. Une création du diable qui invite à la chanson mais qui cache de viles verves. Un si beau discours peut être une sinistre incantations. Ah les doubles sens, une délicieuse tare qui permet de basculer une douce relation en un quiproquo destructeur. Qu’est-ce qu’un dévoreur du mal, celui qui le consume ou celui qui le prêche ? Le second peut vouloir faire le premier sans s’en rendre conte et réciproquement. Est-ce que dans le cœur si noble de l’être angélique il y a plus la volonté d’invoquer un purgateur qu’un sauveur ? Une notion si fine dans des mentalités si bridé que des être pourtant au-delà de tout défaut. Une sainte perfection handicapante.
 
Le pavé de denrées se mit à s’illuminer d’une lumière laiteuse parsemée de particules argentées, évoquant l’arrivé d’un avatar étincelant de bonté. Cependant, le rituel dérive petit à petit de son aspect bienfaisant. Dans un premier temps les divers fruits et légumes prennent feu, les transformant en bougies de fortunes répandant une odeur âcre de sucre brûlé. L’ambiance devint plus sombre, les reflets étant plus orientés vers le pourpre. Les multiples nectars et autres liquides commèrent à bouillir, brisant souvent leur récipient en milles éclats. Finalement le pentacle se mit à luire de manière néfaste, gerbant de la fumée rougeâtre à grande dose.
 
Puis, tout se tut. La pièce grandement enfumée n’est éclairée que des braises environnantes. C’est dans ce silence lugubre qu’un grognement inhumain résonna. Une patte griffue émergea du sol, s’accrochant au plancher comme on s’agrippe à une rambarde. Une seconde apparut, mais cette fois-ci armée d’une lame runique brisé qui se planta à son tour sur le sol. Les bras musclés apparents se bandèrent, issant derrière elle une masse qui n’a rien à voir avec quelque chose de bénie. Des ailes dégarnies au profil squelettique, un corps vouté à la peau cramoisie, et enfin la tête … Une gueule parsemée de croc, un visage allongé évoquant un prédateur, et des yeux brillant d’une vive lueur folle. Ceci n’a rien à voir avec un golem angélique, c’est tout le contraire, c’est un démon sortit tout droit des abysses de l’univers.
 
L’obscure créature finit de s’extirper de son portail et ouvrit grande sa bouche démesurée qui apporta une source de lumière. Elle est chaleureuse, mais pas dans le bon sens du terme. Ce n’est point un feu de cheminée rassurant, mais une fournaise menaçante. Et la bête rugit aussi fort qu’elle put tel un forcené. Ce beuglement bestial dura cinq bonnes secondes avant que l’immense mâchoire ne se referme sur l’un des morceaux de viande présent durant l’invocation. La chose n’en fit littéralement qu’une bouchée mais profita goulument de cet apéritif. Cela devait être du bœuf Angus ou de Kobe. Le diablotin se paralysa quelques instants, savourant ce met, et se mit à frétiller avant de réaliser.
 
"POCUS ÊTRE DEHORS !"
 
Oui, c’est Pocus ! Et il n’avait littéralement rien becqueter depuis ces années qu’il a passé dans l’autre monde. Pourquoi est-ce qu’il était déjà ? Il était mort ? Un détail, ce qui fut important est que le malheureux démon y fut puni par un jeune forcé et apparemment éternel. Mais maintenant il n’est plus dans le tartare, mais ailleurs, un ailleurs avec de la nourriture … mais pas suffisamment. Il faut combler ce temps perdu où le glouton n’a put se repaitre. De plus, un bon steak ça a beau n’être pas dégeu, cela … cela reste …
 
"Viande là faible. Où être viande forte ?"
 
Son questionnement fut vite stoppé lorsque du coin de l’un de ses orbites malfaisantes il vit deux figures. Deux silhouettes ailées et visiblement sur la défensive, et dont la présence ravi ce sentiment de puissance. Oh oui, ces proies seront un bien meilleur casse-dalle que ne fut ce simple hors d’œuvre. Pocus marcha d’un pas lourd et inquiétant vers ces deux homme-poulets, bavant d’une salive ardente qui brunit le parquet au contact. Il ne sait pas où il est, mais il veut bien de cette chose que les humains nomment KFC. Soudainement la bête bondit en avant, son râtelier de croc parés à croquer. Cependant …
 
"PUER !"
 
Le monstre couvrit sa bouche ainsi que ses narines pendant son bond avant de se heurter violemment contre le mur le plus proches. Retombant par terre, Pocus se mit à piailler misérablement.
 
"Vous pas bons. Viande blanche poulet bon ! Viande blanche homme-poulet sentir savon."
 
Visiblement, la chaire et l’odeur d’ange sont des choses que le cerbère infernal considère comme nocif. D’ordinaire, un être vivant lambda est alléchant, et s’il est puissant il l’est encore d’avantage … mais étrangement les individus d’origines sacré ont un arôme répulsif. C’est comme si Pocus savait qu’il allait manger quelque chose à base de javel ou boire du thé menthe-réglisse. Une infamie pour le démon qui continue de se plaindre.
 
"Avoir faim. OU ÊTRE BONNE BOUFFE !"

Le démon distordu était fichtrement confus. Certes il est vraiment heureux d’être sortit des tréfonds de l’enfer où une famine sans fin lui grattait l’estomac, mais c’est quoi ce schmilblick ? Il reçoit un apéricube à peine tolérable pour qu’en suite les deux pigeons présents lui manquent de respect en étant avarié. C’est injuste ! Tout ce que désire le pauvre Pocus est de manger, et quelquefois roupiller pour bien digérer, mais surtout manger.
 
La frustration se mue petit à petit en colère, les piaillements puérils évoluent en grondement lourds, les gestuelles gamines devinrent des martèlements furieux. Pocus à faim et ces oiseaux de malheurs se moquent de lui avec leur vile odeur de savon de Marseille. Même pas comestibles, mais peut être que brûler leur odieuse carcasse serait un spectacle acceptable ? Non, cela ne ferait que répandre leur aura de saindoux de manière exponentiel. Cette salle n’est qu’une nouvelle cage, tout aussi insidieuse que la précédente ! Le monstre lâcha finalement un long soupir et chercha de ses yeux affolés une porte de sortie.
 
C’est alors que la damoiselle ailée prit la parole alors qu’elle s’assit sur une chaise. Une chaise ? Pocus ne l’avait pas remarqué, tout comme la soudaine disparition du second ange. Un détail. Quoi qu’il en soit, la dame blanche sous l’attention curieux mais méfiant du démon rouge parlait. Elle se nommerait Daphiel … Gabriel … non Daphiel … Daffy ? Oui c’est bien cela Daffy ! Non Daffy est un canard et donc est croquable. Donc Daphiel ! Cette Daphiel posa une question pourtant évidente au monstre infernal qui se moqua d’elle.
 
"Vous sentir eau de ménage ! Dégeulasse ! Dommage car Pocus sentir force. Bœuf pas mauvais, mais pas fort, donc seulement OK ! Longtemps pas goûter forte nourriture … si longtemps … POCUS A FAIM ! POCUS VEUT DU …"
 
Alors que la folie naturelle de la bête refit surface, une personne vint avec un cadeau digne de ce nom. Un silence inquiétant s’installa dans la pièce encore enfumée. Elle ne fit interrompue que par un gargouillement tonitruant démoniaque.
 
"DEGAGER !"
 
Hurla Pocus qui se rua avec vélocité sur la barbaque tout en giflant de ses ailes rachitique le pauvre livreur qui fut expédié de la où il venait. Le cerbère n’attendit point plus longtemps et planta ses crocs affamés dans le titanesque gigot qui fait quinze fois son volume. Ses papilles vibrèrent au contact de la marinade basé sur du poivre gris, de l’ail et du miel d’acacia. La chaire est encore saignante, laissant suinter un délicieux nectar gorgé d’hémoglobine. Et fort heureusement les cuistots ont eu la bonne idée de laisser l’os principale pour offrir un goût encore plus prononcé ainsi qu’un peu de croquant.
 
Ceci est la partit que la langue apprécie à un niveau divin. Il n’y pas à dire c’est presque un dix sur dix. Mais l’essence du met ? C’est plus proche d’un quatre. Ce dinosaure devait être un reptile majestueux, un vrai dominateur de la jungle. Il fut, mais il n’est plus. La viande décédée perd énormément de valeur par rapport à une viande encore débordante de vitalité et de ki. Deux caractéristiques complètement absentes.
 
M’enfin c’est toujours mieux que rien ! Pocus prit des bouchées et engloutit le gigantesque rôti en quelques minutes à peine sans ou pour autant être fatigué de consumer. Par ailleurs, fait étonnant, la silhouette du geignard ne changea point, ni bedaine ventripotente ni gain de masse. Mais les yeux divins de l’ange peuvent constater que la nourriture ingérée est aussitôt transformée en énergie pure qui est aussitôt ingérer comme du combustible. Le monstre cramoisi lâcha un rôt à peine contenu et se lécha les babines de sa langue incandescente. Il est repu … pour l’instant, et se retourna lentement vers Daphiel !
 
"Médiocre mais gros ! Pocus préfèrer manger du vivant. Meilleur sang, meilleur force, meilleur pour digestion. Mmmh, vouloir mieux …"
 
Un flash de mémoire revint dans le maigre cerveau de la monstruosité : la raison de sa mort ! Il chassait, tuait et mangeait. Que des proies indigne cependant, jusqu’au jour où il croisa un guerrier humain. Non, humanoïde pas humain. Son nom est tombé dans l’oubli mais sa race, oui sa race il s’en souvient. Une race d’un guerrier fort que le gourmet put, avant son décès, avoir une bouchée !
 
"Pocus vouloir saillant jean ! Humain pas mal, mais saillant jean super bon !"
 
Qu’est ce qu’il ne ferait pas pour revivre ce moment que de déguster à nouveau du saillant jean.

Croquer un nouveau-né tout droit sortit du ventre de sa mère. Cela sera d’une tendresse sans précédent et la viande particulièrement moelleuse, mais cela équivaudrait à manger un fruit qui n’a pas absorber de soleil. Certes le goût y est, mais cela manque sérieusement de sucre et de subtilité. De la matière brute non travaillée. Croquer un vieil héros de guerre qui est depuis une décennie à la retraite. La masse est bien expérimentée et les arômes sont d’une finesse inouïe, hélas c’est comme dévorer un mets périmé. Les saveurs et les aliments sont bien présents au détriment d’une cohérence absente et le fait d’avoir loupé le sommet de sa forme. Croquer un guerrier dans la force de l’âge ? Y-a-t-il besoin de tergiverser ? C’est de la bombe gustative.
 
Ce guerrier saillant avait beau l’air frêle et peu imposant … mais que son sang était exquis, sa chaire débordante de vitalité et son énergie enivrant. Il avait juste un petit arrière-goût de peur … non pas de peur mais de regret qui vient mettre une tâche noire sur le repas. Mais en dehors de ce léger détail, c’était un combattant digne de ce nom. Dommage que Pocus ait succombé par sa gourmandise et n’a sut se stopper face à un adversaire plus fort que lui.
 
Mais c’était si bon. SI BON ! Il faut en recroquer et ce n’est ni l’amuse-gueule, ni le gargantuesque steak de dinosaure, ni les immondes oiseaux lumineux présent qui sauront le satisfaire. En vérité rien ne peut le satisfaire, il faut juste qu’il consomme et consume ce qui convient à son palais exigeant. Est-ce qu’il en a été toujours ainsi ? Ce genre de réflexion file toujours une migraine au démon, il est plus simple d’obéir à son instinct vorace de glouton. Et ce n’est pas ici clos qu’il se remplira la panse.
 
Mais alors que le démon chercha une sortie à ce cloître, la femme-pigeon l’interpela et lui parla d’une grande guerre qui va bientôt se dérouler. Une guerre ? Dans une guerre il y a souvent des combattants vétérans et donc du succulent ! Mais une bataille entre ces choses angéliques est plus un poison qu’autre chose. Elle a cru pouvoir duper le génie démoniaque de Pocus ? Cette cervelle d’oiseau n’est pas très futée … un instant … elle cite des races qui mettent la bave à la bouche démesurée du monstre.
 
"Ouais sayan ! Pas saillant jean ! Ça bon, Pocus aimer leur muscle croustiller ! D’accord, Pocus venir ! Humain moyen, mais parfois pas trop mal ! Encore mieux ! … Magma ? Combattre feu ? HAHA, Pocus faire feu et manger feu puis refaire feu. Chasse facile pour gros repas."
 
Grosso modo, le cerbère accepte avec un grand plaisir « l’alliance » avec l’ange. Il faut l’avouer, il n’en fallait pas beaucoup pour convaincre ce ventre ambulant. Alors que ce dernier pense déjà a quel sauce gnaquer ses futures proies, la lumineuse enchaîna sur une nouvelle question qui laissa la créature dubitative quelques secondes. Manger des démons ? Oui Pocus se souvient en avoir englouti une fois il y a longtemps … très longtemps … quand était-ce ? La saveur était géniale, mais pourquoi cette note d’amertume ? … Pour une fois c’est la curiosité qui surpasse l’appétit, et il prit un air plus sérieux que gamin.
 
"Pocus gouter démon pendant combat. Pas problème."
 
Ce moment de gêne ne dura pas longtemps, puisque l’estomac infernal gargouilla une fois supplémentaire. A force de parler ce qui va être dans l’assiette, il est grand temps d’être servit. Pocus reprit son expression ahurie habituel.
 
"Quand commencer ? Avoir faim !"