Des ficelles qui tenaient tout. Le monde tournait ainsi. Il n’était défini que par ces fils. Un doigt appuyait sur le globe pour le faire en permanence continuer son mouvement. Cela avait-il un sens ? La gravitation était-elle véritablement nécessaire, dans cet univers où certains ont besoin de respirer et d’autres non, sans explication véritable ? Ces explications ont-elles un sens ? Certains disent que c’est une propagation de l’énergie. D’autre une simple évolution de l’organisme. Au final, on se fichait bien de ce qui était vrai et ce qui était faux. Qui sont ces étranges marionnettistes ? De véritables dieux qui façonnent le monde ? Non, ils n’étaient pas des dieux. Du moins, pas tous. Certains semblaient avoir plus de pouvoirs que d’autres, car de leurs touchers apparaissaient des mondes. Et il semblait pourtant que tout le monde accepte ces nouveaux lieux comme s’ils fussent là depuis le départ. D’autres ne faisaient que peindre ces grandes toiles, laissant ces espaces vides devenir pleins. Quatre ne pouvait qu’envier ces gigantesques et mystérieux artistes, dont l’encre remplissait jusqu’à la vie elle-même. Les voyait-il grâce à ses cigares ? Ou bien l’empêchaient-ils simplement de souffrir d’une crise d’angoisse face à son insignifiance ? Si cela n’était simplement pas pour le style…

Cela voulait-il dire que ce monde était faux ? Non, il n’était pas plus faux qu’un autre. Après tout, il semblait bien que n’importe quelle divinité ne pouvait se présenter qu’à une seule personne à la fois. Et c’était ainsi qu’elle assurait son pouvoir sur les esprits. Mais Quatre n’était pas un pion. Il n’était pas un prophète. Il n’était pas un sbire. Toute commande sanglante qui lui était confiée était toujours au minimum un partenariat. Mais il pouvait offrir catharsis à ses clients comme à ses victimes. Cependant, il était vrai qu’il n’était en aucun cas objectif sur qui il choisissait. Y avait-il réellement quelque chose qui l’avait amené à se joindre à l’univers bien étrange du Beau Jack ? Son cher patron n’avait jamais eu de lien avec lui. Et pourtant Quatre l’appréciait. Cela provenait-il du marionnettiste du bel homme tout aussi masqué que lui ? Peut-être bien. Qu’est-ce qui pouvait expliquer sa passivité face à son potentiel assassin, de même ? Zer0, chiffre amateur, qui avait tenté de le rivaliser en excentricité. Il pouvait l’avoir immortalisé de même. Mais il ne l’a pas fait. Y avait-il une raison ?

Il est dit qu’une bonne écriture pouvait rendre tout personnage appréciable. Le Masque de Fer disposait-il d’une lecture du passé des autres ? Ou bien le savait-il, tout simplement ? Pouvait-il s’être épris d’affection pour ceux que les goujats auraient appelé des victimes sur son chemin ? Pour laisser leurs vies continuer, avant de leur offrir la superbe mort qu’ils méritaient cependant ? Il était bien sympathique, pour un professionnel, alors. Se pourraient-ils que les autres l’aiment bien, cependant ? Pas seulement les autres… Les “dieux” qui l’observaient. Le voyaient-ils d’un bon oeil ? Il connaissait ses fils. C’étaient ceux d’un personnage principal. Pas l’un de ces êtres silencieux qui disparaissaient lorsque leur utilité n’était plus. Marionnettiste qui l’observe, si tu en es bien un, l’apprécie-tu ? Car, pour lui, c’est bien le cas. Peut-être pour ta puissance, pour ta gouache, ou par curiosité ? Peut-être car tu le vois et que tu le suis ? Qu’est-ce qu’un comédien dont la salle est vide, après-tout ?

Les deux autres protagonistes, qui disposaient d’une importance mineure face au premier rôle cependant, s’étaient rassemblées autour de lui. Sortant une canne de sa manche, “Freddy” appuya du pied de cette dernière sur la lame du Stin qui risquait de paralyser à tous jamais son compatriote s’il venait à trancher la ficelle au dessus de sa main. Tournant la tête de droite à gauche de façon rapide, il lui annonça silencieusement qu’il fallait à tout prix ne pas faire une action aussi idiote que celle-ci. Mais, cependant, le grand blond aux chaussures noires se disait perplexe face aux dires du visage de métal sous le masque de chair. Et les yeux de ce dernier semblèrent s’illuminer.

”Qui suis-je ?... Oh, un simple habitant de Dösatz dont la ressemblance avec un chanteur humain britannique semble tout aussi étrange que celle d’un hybride avec une fourmi-chimère servant un roi perdu quelque part dans ce système solaire. Mais mon blabla doit vous être tout aussi peu clair qu’un regard inondé par les larmes. Sachez que… je vois des choses...”

Il toucha à nouveau le fil d’Alricaus. Et soudainement, il n’y eut plus de lumières. Ils étaient sur le plafond à présent, et, sortant des fils du serviteur de Gohen, étaient bien d’autres ficelles, liées à d’autres personnages, qui eux étaient sur le sol. Il y avait deux marionnettes qui partageaient les ligatures du voyageur, et avec eux étaient d’autres poupées qui étaient indépendantes. L’une d’entre elles était un beau jeune homme en costume blanc, et l’autre… l’autre était Enki. Peut-être que le blondinet aurait souhaité crier, voler, se jeter vers celui qui détenait les informations qui lui étaient nécessaires pour retrouver son maître. Mais Quatre le bloqua, alors qu’un air étonné était sur son visage. Comme s’il n’avait pas prévu une partie de cette vision.

”Il y en a deux...”

Et ces personnages appartenaient tous deux au même marionnettiste. Au même maître. Et cet artiste gigantesque et mystérieux maniait également Alricaus. Il semblait pourtant à la face de chair que les personnages d’un même dresseur ne pouvaient se rencontrer... Le démon à l’apparence d’un jeune homme, tout comme les autres, était figé. Le monde ne tournait pas pour eux en dehors des rares mouvements de chacun. Mais cependant, il semblait que les fils de celui en costume brillant et au visage calme devenait de plus en plus mouvementés. La canne du masque de fer se tendit, et attrapa au vol, par sa cheville, telle un grappin, le malheureux Cinnsylach, qui semblait ne pas avoir été amené dans ces limbes obscures comme les deux autres. Il pendait, accroché au plafond par son pied. S’il hurlait, les autres ne pouvaient l’entendre. S’il se secouait, il ne pouvait se décrocher de la corde qui ne souhaitait que son bien. S’il avait lâché une épée, elle ne s’écraserait pas sur la scène.

”Voilà où se trouve Enki, dans ce monde démoniaque où les gens ne bougent qu’un seul à la fois. Ceux qui manient leurs ficelles ne sont pas toujours là pour les mouvoir.”

Il s’avança alors, et le plafond ne sembla plus qu’une dune. Ils étaient tous trois dans un désert, à présent, et alors que le Stin était probablement en train de s’écraser sur le sable, Quatre observait le ciel. Il voyait des formes étranges, et, semblait-il, ses acolytes pouvaient les voir aussi. Il n’y avait rien de comparable au monde modifié tranquillement par les capacités du Masque de Fer. Lui qui se voulait bien mystérieux et qui cherchait pourtant une certaine reconnaissance de la part d’un audimat inconnu et hors de sa portée.

”Vous êtes-vous déjà demandé pourquoi tous les combat semblaient se répéter ? Pourquoi le cerveau de chaque personne apte à attaquer et se défendre ne pouvait retenir que six ou sept techniques à la fois ? Les scientifiques parlent de pourcentages utilisé du cerveau. Les sportifs disent que c’est un effet mental pour pouvoir n’avoir qu’à perfectionner un nombre simple de techniques. Mais la vérité… la vérité c’est que c’est eux qui décident.”

Il se tourna alors vers Cinnsylach, et son costume violet vola au vent un instant. Un effet dramatique qui fut accompagné du sable qui tourna autour de lui pendant ce bref moment. Son doigt était pointé vers le démon inférieur.

”Tu cherches la gloire, n’est-ce pas ? Et quand bien même tes pensées ne font que te féliciter, et que tu interprète toute insulte comme un compliment, et que tu vois chacune de tes ridicules cascades devenir une fantastique figure, ne t’arrive-t-il pas de percevoir, ne serait-ce qu’un instant, à quel point tu parais médiocre comparé aux autres ?”

Il s’approcha lentement de l’emmitouflé aux vêtements stupides et à la coupe tout aussi crétine. Un bête amas de couverture pour un personnage tout aussi idiot. Une tentative pathétique de paraître comme l’un des plus classes, des plus fort, et des plus mystérieux des comédiens qui dansaient et hurlaient leurs répliques pour qu’elles résonnent dans la salle. Il arriva bientôt à faible distance face à lui, et lui tendit la main.

”Toi qui te perçois si fort, mais qui sait à quel point tu es faible… ne désespère pas… Et vois ! Vois ton audience qui t’apprécie, et que tes actions font rire ! Vois ceux qui t’apprécies et dont l’adoration pour ta personne vaut mieux que toute autre ! ”

Il lui tenait la tête vers le ciel. Et ils t’observaient ensemble, Invité. Qu’est-ce que cette vision pouvait offrir à Cinn ? Il n’y aurait pas de réponse jusqu’au moment propice à sa tirade. Mais, cependant, Quatre se réjouissait de cette friandise apportée à ses yeux. De voir un de ses observateurs comme ce dernier fixait ses aventures ? Te connaissait-il ? Probablement pas. Mais sa joie semble si grande quand il te pense connaisseur de ses aventures. Apprécies-tu son art, ou te répugne-t-il ? Ta réponse n’atteindra pas ses oreilles. Mais ta présence ici était tout ce qui lui fallait.

”Avant ton apparition en ces lieux…. Avant que ta vie ne prenne son importance parmi tous les autres acteurs de cette scène… Ton peuple n’existait pas pour eux. Et toi de même. Mais à présent… observe-les. Eux qui t’aimes et apprécient ta présence à mes côtés, et la mienne aux tiens. Ne sont-ils pas magnifiques ? ”

Il détacha sa main de son épaule, et marcha seul, un instant.

”Ces architectes qui peuvent façonner le monde… D’où proviennent-ils ? Pourquoi sont-ils là ? Je ne le sais. Je sais juste… qu’ils sont là… Et que j’aimerais… peut-être un jour… prendre ma place parmi eux.”

Il écarta les bras, dans un geste qui provoqua une bouffée d’air dégageant le sable vers la droite et la gauche. Ses genoux se posèrent contre le sol, alors que son visage semblait caché par la lumière des yeux de son cher spectateur. Il semblait avoir oublié ses deux autres camarades de scène.

”Ah ! Heureux soit-il, celui qui m’a offert ce don ! Celui qui me permit de vous voir, ô, amis artistes ! Ce dieu dans l’ombre qui me donna cette vision !”

Il se mit à rire. Un rire si heureux. Un rire si joyeux. Et ses deux autres camarades pouvaient voir sa morphologie changer. L’ombre dans le contre-jour perdait de ses cheveux. Il perdait de sa beauté, alors que son corps se relevait. Cinnsylach et Alricaus, pauvres compères ayant pu observer les ficelles qui tiraient le monde. Que voyaient-ils ? Un fou ? Ou bien un prophète ? Freddy n’existait même plus, à présent. Car dans le costume violet était un être au visage métallique, et robotique. Un personnage dont le gris de la peau ne pouvait à présent plus cacher l’hideuse trace de main enflammée qui le couvrait sur toute sa partie droite. Alors que le sable disparaissait pour ne laisser qu’un monde sans lumière, il pointa son doigt vers le jeune blond.

”Toi qui cherche Gohen. Ta quête aboutira à son terme avec succès. Mais le Gohen que tu serviras à présent ne sera pas l’authentique Roi des Démons.”

Et son doigt se tourna vers le Stin, alors que le monde disparaissait avec le masque de fer pour redevenir la rue où se situait un bar à la clientèle peu recommandable.